Modification du contrat de travail: quand faut-il recueillir l’accord du salarié?
Savoir distinguer la modification du contrat de travail de la modification des conditions de travail
Par plusieurs arrêts du 10 juillet 1996, dont le célèbre arrêt Le Berre (Soc., 19 juillet 1996, n° 93-41.137), la Cour de cassation consacre la distinction entre la modification du contrat de travail d’une part et la modification des conditions de travail d’autre part. Elle abandonne en même temps l’ancienne distinction qui reposait sur les notions de modifications substancielles ou non substancielles du contrat de travail.
Depuis cette date, l’employeur ne peut modifier le contrat de travail qu’avec l’accord de son salarié. En revanche, il va pouvoir lui imposer un changement de ses conditions de travail car cette prérogative relève de l’exercice du pouvoir de direction dont il est titulaire.
Mais comment savoir si la modification envisagée par l’employeur relève de l’un ou l’autre des régimes?
Il faut désormais se tourner vers la nature du changement envisagé et non vers son importance et c’est la jurisprudence qui nous a permis au fil du temps de pouvoir distinguer les différentes situations.
Globalement, relèvent du régime de la modification du contrat de travail, tous les éléments qui constituent le socle contractuel. Ainsi, l’employeur qui envisage de modifier la rémunération de son salarié devra recueillir son accord. Il en est de même pour une modification qui porterait sur la qualification, l’étendue des fonctions ou le niveau de responsabilité. A cela s’ajoute la modification de tout élément du contrat de travail que les parties ont, par une clause claire et précise, entendue considéré comme déterminant et non seulement comme une simple information.
A contrario, un simple changement d’horaires consistant dans une nouvelle répartition de l’horaire au sein de la journée n’est qu’un changement des conditions de travail. De même, l’employeur ne fait qu’usage de son pouvoir de direction lorsqu’il fait évoluer les tâches effectuées par le salarié ou encore lorsqu’il l’affecte à un autre service sans modifier son degré de subordination, sa rémunération, sa qualification et son niveau hiérarchique.
Le cas particulier de la modification du lieu de travail
La modification du lieu de travail suppose une analyse particulière.
Ainsi, si le contrat de travail comporte une clause de mobilité et que la nouvelle affectation géographique se trouve à l’intérieur du périmètre défini par la clause, la modification du lieu de travail relèvera d’une modification des conditions de travail.
En revanche, si le contrat ne comporte pas une telle clause ou si la mutation s’effectue en dehors du périmètre défini par la clause, l’employeur devra déterminer si le nouveau lieu d’exercice de l’activité professionnelle du salarié se situe dans le même secteur géographique que son lieu de travail précédent.
Il n’existe bien entendu pas de définition claire de ce qu’est une identité de secteur géographique. Il va falloir se référer à un ensemble d’éléments tels que la distance entre l’ancien et le nouveau lieu de travail, la desserte en transport en commun du nouveau lieu de travail, la localisation à l’intérieur d’un même département ou d’un département ou d’une région limitrophe. La notion de bassin d’emploi répertoriée par l’INSEE peut également servir de référence.
En cas de litige, c’est au juge qu’il reviendra d’apprécier souverainement si la modification a lieu dans le même secteur géorgraphique ou non.
Si la modification a lieu à l’intérieur du même secteur géographique, le régime applicable est celui de la modification des conditions de travail. Dans le cas contraire, il est fait application du régime de la modification du contrat de travail.
Enfin, si les parties ont contractualisé le lieu de travail, sa modification relèvera du régime de la modification du contrat de travail.
Le régime de la modification des conditions de travail
L’employeur qui envisage de procéder à une modification des conditions de travail de son salarié n’a pas à recueillir son accord.
La modification s’impose au salarié par l’exercice du pouvoir de direction de l’employeur.
En conséquence, le refus d’un salarié de se soumettre au changement de ses conditions de travail constitue une faute, laquelle peut conduire l’employeur a procédé au licenciement disciplinaire du salarié récalcitrant. Selon les circonstances, l’employeur appréciera le degré de gravité de la faute avant d’engager une procédure disciplinaire.
Le régime de la modification du contrat de travail
Lorsque l’employeur considère que la modification à laquelle il envisage de procéder relève d’une modification du contrat de travail, il doit immédiatement s’interroger sur les raisons qui le conduisent à envisager cette modification.
En effet, le régime juridique sera différent selon l’origine de la modification.
Sur ce point, la jurisprudence a, pour le moment, consacré une dualité : soit l’origine de la modification est inhérente à la personne du salarié, soit elle est économique.
1. Le modification non inhérente à la personne du salarié : la modification d’origine économique
Pour être économique, la modification envisagée doit être consécutive notamment (art. L1233-4 du code du travail) :
- A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
- A des mutations technologiques ;
- A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
- A la cessation d’activité de l’entreprise.
Dans cette hypothèse, il apprtient à l’employeur de proposer la modification à son salarié par lettre recommandée avec AR. Ce dernier dispose d’un délai d’un mois pour faire connaître sa décision.
Soit le salarié accepte et l’employeur lui soumet un avenant que chaque partie signe.
Soit le salarié refuse, et dans ce cas, l’employeur devra renoncer à son projet de modification ou engager une procédure de licenciement pour motif économique.
S’il ne fournit aucune réponse dans le délai d’un mois sus-visé, le salarié sera considéré comme « acceptant ».
Lorsque la modification n’est pas inhérente à la personne du salarié, c’est donc le motif qui a conduit l’employeur a proposé la modification qui doit constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement économique, d’où la référence à l’article L1233-4 du code du travail!
2. La modification inhérente à la personne du salarié
Lorsque la modification envisagée est inhérente à la personne du salarié, elle peut avoir une origine disciplinaire ou non.
2.1 la modification d’origine disciplinaire
La modification aura une origine disciplinaire lorsqu’elle constitue une sanction à l’encontre d’un comportement fautif d’un salarié. Ainsi, il est possible d’envisager par exemple une rétrogradation assortie ou non d’une baisse de rémunération ou encore une changement de lieu de travail.
Dans une telle situation, l’employeur devra respecter la procédure disciplinaire prévue par le code du travail avant de notifier au salarié sa sanction, laquelle consistera en une modification de son contrat de travail.
L’employeur devra apprécier le degré de gravité de la faute et envisager une sanction proportionnée au degré de gravité de la faute commise. Il lui appartiendra de convoquer le salarié à un entretien préalable dans les deux mois de la connaissance des faits fautifs. Lors de l’entretien, l’employeur lui expose ses griefs et recueille les explications du salarié, lequel peut se faire assister dans les conditions légales. Au terme du délai de réflexion, l’employeur notifie sa décision.
S’agissant d’une modification de son contrat de travail, le salarié a la possibilité de la refuser. En pareille circonstance, l’employeur est fondé à prendre une autre sanction pouvant aller jusqu’au licenciement disciplinaire. Il ne sera pas nécessaire de convoquer le salarié à un nouvel entretien préalable, sauf si la sanction envisagée est le licenciement (Cass. Soc. 25 mars 2020, n°18-11433). Pour envisager de substituer le licenciement à la modification du contrat de travail, encore faut-il que les agissements fautifs du salarié soient constitutifs d’une cause réelle et sérieuse de licenciement…
2.2 La modification non disciplinaire
La modification du contrat de travail inhérente à la personne du salarié peut avoir une origine non disciplinaire. Elle est en lien avec la personne du salarié mais sans rapport avec un comportement fautif quelconque.
Dans ce cas, aucune procédure particulière n’est imposée par le code du travail. Il est toutefois prudent de s’assurer que la convention collective dont relève l’entreprise ne prévoit pas quelque chose. En tout état de cause, il vaut mieux soumettre la proposition de modification au salarié par écrit, en précisant le contexte dans lequel elle intervient et la date à laquelle elle trouvera à s’appliquer. L’employeur devra également laisser un délai de réflexion raisonnable au salarié.
En cas d’acceptation, il est fortement conseillé de rédiger un avenant.
En cas de refus, il conviendra là aussi de se tourner vers les causes de la modification proposée pour savoir si elles sont susceptibles de constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. A défaut, l’employeur ne pouvant imposer la modification, il devra y renoncer.
Qu’il s’agisse d’une modification inhérente à la personne du salarié ou non inhérente à la personne, le refus du salarié d’accepter une modification de son contrat de travail ne constitue pas à lui seul une cause réelle et sérieuse de licenciement.
La dualité de régime mise en place par la jurisprudence s’agissant de la modification du contrat de travail peut s’avérer pénalisante pour l’employeur lorsque les raisons qui le conduisent à proposer la modification au salarié ne reposent ni sur un motif inhérent à la personne du salarié, ni sur un motif économique au sens de l’article L1233-4 du code du travail. Si le salarié refuse, en l’état actuel de la jurisprudence, il n’existera aucun motif susceptible de constituer la cause réelle et sérieuse de licenciement. Et pourtant, il n’est pas toujours possible de renoncer à son projet…
Particularités
Il existe toutefois quelques exceptions à ces principes.
Ainsi, lorsque la modification envisagée concerne un salarié protégé, l’employeur doit toujours recueillir l’accord du salarié, qu’il s’agisse du modification des conditions de travail ou du contrat de travail.
Le salarié est donc libre de refuser la proposition qui lui est faite, à charge pour l’employeur de renoncer à son projet ou d’engager la procédure spéciale de licenciement, sous réserve de pouvoir justifier d’un motif valable de licenciement.
Par ailleurs, une entreprise peut conclure un accord de performance collective pour répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver ou de développer l’emploi. Cet accord permet de négocier des mesures exclusivement dans trois domaines limitativement énumérés par la loi : l’aménagement de la durée du travail des salariés, l’aménagement de leur rémunération (éventuellement à la baisse), la détermination des conditions de leur mobilité professionnelle ou géographique au sein de l’entreprise.
Les clauses de l’accord qui sont incomptaibles avec les stipulations du contrat de travail du salarié s’y substituent, ce qui nécessite l’accord du salarié.
Si le salarié venait à refuser cette substitution, l’employeur a la possibilité de procéder à son licenciement. A titre d’exception, le licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse: le refus du salarié de se voir appliquer les dispositions issues de l’accord de performance collective.
Enfin, une entreprise peut mettre en oeuvre un dispositif APLD (Activité Partielle de Longue Durée) lorsqu’elle est confrontée à une réduction d’activité durable qui n’est pas pour autant de nature à compromettre sa pérennité. Elle aura ainsi la possibilité de diminuer l’horaire de travail de ses salariés, en contrepartie d’engagements notamment en matière de maintien en emploi et de formation. Ce dispositif impacte donc directement la durée du travail et la rémunération des salariés, lesquels bénéficient d’une allocation de remplacement.
Dans cette hypothèse, bien qu’il s’agisse concrètement d’une modification du contrat de travail, le dispositif s’impose aux salariés qui ne peuvent pas le refuser. Cette modification est assimilée par la loi à un simple changement des conditions de travail.
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