L’article 1401 du code civil dispose que: « La communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres. »
Un époux, marié sous le régime de la communauté, peut décider d’apporter seul un bien commun à une société.
S’il s’agit d’un apport en numéraire, il ne nécessite pas l’accord de son conjoint.
En revanche, s’il s’agit d’un apport en nature, dans certains cas, l’accord du conjoint peut être nécessaire. Il en est ainsi lorsqu’il s’agit d’apporter un immeuble, un fonds de commerce, une exploitation, des droits sociaux non négociables et des meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité. Dans ces hypothèses, si le conjoint n’a pas consenti à l’apport, il sera fondé à en demander la nullité, dans les deux ans qui suivent le moment où il en a eu connaissance, à moins qu’il n’ai ratifié l’acte.
Mais la question qui s’impose alors est la suivante: en cas d’apport par un seul époux d’un bien commun, qui a la qualité d’associé?
Principe: seul le conjoint qui a réalisé l’apport a la qualité d’associé mais son conjoint bénéficie du droit de revendiquer cette qualité pour la moitié des parts souscrites
En vertu de l’article 1832-2 du coce civil, « la qualité d’associé est reconnue à celui des époux qui fait l’apport ou réalise l’acquisition ».
Toutefois, ce même article permet au conjoint commun en biens de l’apporteur de revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts souscrites par l’apporteur. C’est pour cette raison que ce dernier doit avertir son conjoint de l’apport effectué et en justifier. A défaut, le conjoint peut agir en nullité dans un délai de deux ans à compter du moment où il a eu connaissance de l’apport effectué, à moins qu’il n’ait ratifié l’apport.
Dès lors que le conjoint est informé, s’il manifeste, au moment de l’apport, sa volonté d’être associé, la qualité d’associé lui est reconnu pour la moitié des parts souscrites par l’apporteur.
S’il ne se manifeste pas au moment de l’apport et qu’il souhaite ultérieurement revendiquer cette qualité, il conviendra de se référer aux dispositions statutaires. Dans cette hypothèse, si les statuts contiennent une clause imposant l’agrément du conjoint revendiquant, la clause devra être respectée.
Il est d’ailleurs utile de rappeler que « l’époux d’un associé peut notifier à la société son intention d’être personnellement associé pour la moitié des parts souscrites ou acquises par son conjoint, aussi longtemps qu’un jugement de divorce passé en force de chose jugée n’est pas intervenu » (Cass. Com. 14 mai 2013, n°12-18.103).
Mais il peut aussi renoncer de manière claire et non équivoque à revendiquer la qualité d’associé.
Le conjoint de l’apporteur peut renoncer à revendiquer la qualité d’associé…
Le conjoint, averti de l’apport envisagé par son conjoint commun en biens, peut décider de renoncer à revendiquer la qualité d’associé.
Cette renonciation peut figurer expressément dans l’acte qui constate l’apport mais, l’arrêt du 19 juin 2024, qui s’inscrit dans la droite ligne de celui rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 21 septembre 2022 (Cass. Com. 21 sept. 2022, n°19-26.203), nous rappelle que « bien que les statuts ne fassent pas mention de l’article 1832-2 du code civil, [ils] établissent tout de même le fait que l’épouse a renoncé clairement et sans réserves, au moment de la constitution du groupement à revendiquer, sur le fondement de ce texte la qualité d’associé au titre des biens communs apportés par son époux« .
Ainsi, même en l’absence de référence à l’article 1832-2 du code civil, la renonciation du conjoint à revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts sociales souscrites par son conjoint peut être reconnue dès lors qu’elle est claire et non équivoque.
L’arrêt ajoute d’ailleurs que le conjoint ne peut revenir ultérieurement sur sa décision: sa renonciation présente donc un caractère définitif. La Cour de Cassation avait déjà eu l’occasion de statuer dans le même sens dans un arrêt rendu le 12 janvier 1993 (Cass. Com. 12 janv. 1993, n°90-21.126).
… Mais les associés peuvent lui reconnaître la qualité d’associé
Dans son arrêt du 19 juin 2024, la Cour de Cassation répond à une question inédite : à partir du moment où le conjoint commun en biens de l’apporteur a renoncé de manière claire et non équivoque à revendiquer la qualité d’associé, cette qualité peut-elle lui être reconnue par les associés?
La Cour répond positivement en indiquant que « la renonciation par l’époux à sa qualité d’associé lors de l’apport fait à la société de biens communs par son conjoint ne fait pas obstacle à ce que l’unanimité des associés lui reconnaisse ultérieurement, à sa demande, cette même qualité. »
Ainsi, dès lors que le conjoint a irrévocablement renoncé à revendiquer la qualité d’associé, il ne peut plus imposer son entrée dans la société sur le fondement de l’article 1832-2 du code civil mais il peut néanmoins solliciter, qu’à l’unanimité des associés, il soit « agréé » pour devenir associé à hauteur de la moitié des parts attribués à son époux commun en biens.
Dans le contexte de l’arrêt, la décision de l’assemblée générale qui était contestée avait été prise à l’unanimité des associés, d’où le positionnement de la Cour.
On peut donc aujourd’hui s’interroger sur l’obligation de recueillir cette unanimité.
Serait-il possible, dans un autre contexte, de considérer que l’époux puisse être élevé au rang d’associé par une décision prise simplement à une condition de majorité renforcée?
La Cour aura sans doute l’occasion de se positionner sur ce point mais il n’est pas souhaitable d’écarter l’exigence d’une unanimité pour accorder la qualité d’associé à un époux qui y avait unilatéralement et irrévocablement renoncé. N’oublions pas qu’en principe la renonciation est extinctive de droit…
Ajoutons que dans certaines formes de société, l’unanimité est requise pour pouvoir modifier les statuts (ce qui était le cas dans les faits ayant donné lieu à l’arrêt du 19 juin 2024). Si la Cour admettait de pouvoir déroger à l’unanimité, qu’elle prend le soin de souligner dans l’arrêt, cela supposerait nécessairement de différencier les règles du jeu selon les différentes formes de société concernées.
Cette nouvelle possibilité d’obtenir la qualité d’associé pour un époux commun en biens de son conjoint apporteur vient s’ajouter à d’autres hypothèses déjà admises.
En effet, rien n’interdit à cet époux de revendiquer la qualité d’associé au titre des parts nouvellement souscrites par son conjoint commun en biens à l’occasion d’un autre apport ultérieur. De même, il est tout à fait envisageable qu’un associé cède à son époux commun en biens une partie de ses droits sociaux, ce qui de facto en fait un nouvel associé, sous réserve, le cas échéant, de respecter les procédures d’agrément prévues.
Brèves sur ce sujet en matière de divorce
Au moment du divorce entre les époux, le régime matrimonial choisi est déterminant, quant au sort réservé aux parts sociales acquises pendant le mariage.
Ainsi, dans l’hypothèse d’un mariage en communauté de biens (ce qui représente la majorité des cas), si un conjoint acquiert seul des parts sociales dans une société, ou créé sa propre société pendant les liens du mariage à l’aide de biens communs (gains et salaires), la valeur de ces parts sociales tombe dans la communauté.
En revanche, rappelons que, sauf revendication, il aura seul la qualité d’associé et exercera seul ses prérogatives financières et politiques y étant attachées.
C’est là l’application du principe de distinction entre le titre (la qualité d’associé) qui reste personnel et la finance (la valeur des parts sociales) qui seule entre en communauté et qui sera partagée.
Lors de la dissolution de la communauté, au moment du divorce, la valeur des parts sociales acquises pendant le mariage est répartie par moitié entre les époux.
Toutefois, seul l’époux qui a la qualité d’associé conservera les parts sociales, à charge pour lui de verser une soulte à son conjoint, correspondant à cette moitié de valeur des parts.
Nonobstant le régime de communauté légale choisi, et dans l’hypothèse où l’un des époux a créé ou acquis une société avant le mariage, les parts de cet époux sont considérées comme un bien propre. Elles ne figurent donc pas dans les biens communs du couple et n’entrent pas dans le partage des biens à réaliser au moment du divorce.
Le principe est identique pour les parts de sociétés obtenues par voie de succession ou par donation. Celles-ci reviennent au bénéficiaire, et ne figurent pas dans le patrimoine commun du couple.
Concernant le régime de séparation de biens qui serait choisi par les époux, dans l’hypothèse où l’un des époux a acquis des parts sociales que ce soit avant ou pendant les liens du mariage, celles-ci sont considérées comme un bien personnel. Ce bien est un élément du patrimoine de l’époux concerné dans l’examen des situations respectives lors de la question sur une éventuelle prestation compensatoire entre époux.
Le choix du régime matrimonial n’est donc pas sans incidence lorsque l’un des époux souhaite s’engager dans une société. Il est donc essentiel de prendre conseil auprès de votre avocat qui saura vous accompagner utilement dans vos projets!
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