L’abandon de poste ne fait l’objet d’aucune définition légale. Il s’agit d’ailleurs d’un terme impropre sur le plan juridique où on emploie davantage le terme « absence injustifiée » qui constitue un manquement du salarié à ses obligations contractuelles. Quoi qu’il en soit, l’abandon de poste consiste, pour un salarié, à ne plus se présenter à son poste de travail sans en avoir obtenu l’autorisation ou sans avoir fourni à son employeur un motif valable permettant de justifier son absence.
Cette pratique peut être révélatrice de difficultés éprouvées par le salarié dans son emploi ou plus largement dans son environnement professionnel. Mais elle est aussi utilisée par les salariés qui veulent quitter leur entreprise sans avoir réussi à obtenir une rupture conventionnelle. Parfois, elle est même le fruit d’un accord entre le salarié et l’employeur permettant à ce dernier de se dispenser du versement des indemnités de licenciement et au salarié de bénéficier d’allocations chômage.
Dès lors, on peut comprendre qu’une réflexion s’organise autour de cette pratique et de ses conséquences.
L’abandon de poste avant la loi « marché du travail »
Avant l’adoption de la loi « marché du travail », lorsqu’un salarié effectuait un abandon de poste, l’employeur lui adressait une mise en demeure d’avoir à justifier des raisons de son absence.
La position des tribunaux était constante: la démission doit résulter de la manifestation claire et non équivoque du salarié auprès de son employeur de sa volonté de rompre son contrat de travail (Cass. Soc., 15 janv. 2002, n°00-40.263). La démission ne se présume donc pas.
En conséquence, pour la Cour de Cassation, un salarié qui ne se présente plus à son poste de travail sans autorisation et sans justification ne peut être considéré comme démissionnaire en l’absence de manifestation claire et non équivoque de sa volonté de rompre le contrat de travail (Cass. Soc. 24 janv. 1996, n°92-43868, Cass. Soc. 25 nov. 2020, n°19-12447).
Aussi, en l’absence de retour du salarié suite à la mise en demeure, l’employeur engageait une procédure disciplinaire qui pouvait aboutir au licenciement du salarié. Ce licenciement pouvait parfois même être prononcé pour faute grave lorsque le poste occupé par le salarié déserteur était d’une importance telle que l’abandon de poste attentait de façon importante au bon fonctionnement de l’entreprise, lui causant ainsi un grave préjudice.
Le salarié licencié suite à un abandon de poste pouvait alors prétendre au versement de ses allocations chômage.
C’est ce dernier aspect qui a conduit au dépôt de l’amendement à l’origine du texte de loi. En effet, pour ses auteurs, il ne parait pas équitable, en matière d’assurance chômage, de traiter plus favorablement un salarié qui s’est rendu coupable d’un abandon de poste qu’un salarié démissionnaire.
C’est pourquoi la loi « marché du travail » fait de l’abandon de poste une présomption simple de démission.
L’abandon de poste après la loi « marché du travail »
Désormais, le nouvel article L1237-1-1 du code du travail prévoit que « le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai. »
Cette dernière disposition permet de préciser la date à laquelle la démission pourra être considérée comme effective, emportant ainsi la rupture du contrat de travail.
Toutefois, certaines situations, considérées comme des motifs d’absence justifiée ou légitime, ne peuvent être qualifiées d’abandon de poste. C’est notamment le cas de l’exercice du droit de retrait, du droit de grève ou encore du fait pour un salarié de quitter son poste sans autorisation en raison de son état de santé (extrait du rapport sénatorial n° 61 (2022-2023) fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 19 octobre 2022).
Le législateur a instauré une présomption simple de démission. Cela signifie que le salarié qui démontrerait avoir en réalité été contraint à l’abandon de poste (en raison notamment d’un comportement fautif imputable à l’employeur) pourrait obtenir devant le Conseil des Prud’hommes la requalification de sa démission et bénéficier ainsi des indemnités versée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et… des allocations chômage.
Il bénéficie pour cela d’une procédure accélerée lui permettant de saisir directement le bureau de jugement, lequel dispose d’un délai d’un mois pour statuer. Encore un point où la théorie et la pratique ne convergent pas. En pratique, ce délai d’un mois n’est pas tenable mais il n’en demeure pas moins que la procédure bénéficie d’un traitement plus rapide que dans le cadre d’une saisine classique du Conseil des Prud’hommes.
Des complications pratiques en vue
Sur le plan juridique, cette présomption s’inscrit en opposition totale avec la définition de la démission retenue jusqu’à lors par la Cour de Cassation et qui suppose une manifestation de volonté claire et non équivoque, c’est-à-dire un acte « positif ». Le nouvel article L1237-1-1 du code du travail va-t-il conduire à redéfinir les contours de ce qu’est une démission ?
Par ailleurs, on peut imaginer que le salarié en absence injustifiée revienne avant le terme du délai imparti par la mise en demeure.
Il n’en demeure pas moins que son absence injustifiée aura causé des perturbations dans le bon fonctionnement de l’entreprise et ceci est d’autant plus vrai que le poste occupé par le salarié est un poste clé de l’entreprise. Dès lors, l’employeur pourra souhaiter engager une procédure disciplinaire à l’encontre de ce salarié et pourquoi pas, lorsque certaines circonstances le justifieraient, un licenciement.
Or, si l’employeur a adressé à son salarié une mise en demeure de reprendre son poste, c’est que le maintien du salarié dans l’entreprise n’est pas impossible.
Il en résulte que le licenciement éventuellement prononcé par l’employeur pour sanctionner l’absence injustifiée, et donc le manquement à ses obligations contractuelles par le salarié, ne pourra pas être un licenciement pour faute grave, lequel suppose que le maintien du salarié dans l’entreprise soit impossible. Le nouvel article L1237-1-1 du code du travail privera donc de facto l’employeur de l’une des sanctions disciplinaires dont il dispose pourtant en vertu de son pouvoir de direction.
En outre, les nouvelles dispositions régissant l’abandon de poste aboutissent à considérer le salarié comme démissionnaire, à moins qu’il ne prouve qu’il ait été « contraint » à l’abandon de poste, en raison notamment d’agissements imputables à l’employeur. Mais dans une telle situation, le salarié pouvait déjà prendre acte de la rupture de son contrat de travail et saisir le Conseil des prud’hommes, également dans le cadre d’une procédure accélérée, pour que cette prise d’acte soit requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse s’il parvenait à établir que sa prise d’acte était liée à des manquements suffisamment graves de son employeur.
Il est en effet jugé de manière constante que « lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient » Cass. soc., 1ᵉʳ déc. 2009, n° 07-42796 et 08-41060)
La différence, c’est que la prise d’acte suppose un acte positif du salarié, là où l’abandon de poste s’inscrit dans l’inaction.
De même, la jurisprudence reconnait aussi la notion de démission « contrainte » qui permet à un salarié, ayant pourtant manifesté une volonté claire et non équivoque de démissionner, de saisir le Conseil des Prud’hommes en vue d’obtenir l’annulation de sa démission et donc sa réintégration dans l’entreprise en prouvant l’existence d’un vice de son consentement.
Si la motivation retenue par les auteurs de l’amendement était de ne pas traiter plus favorablement un salarié qui abandonne son poste par rapport à un salarié démissionnaire, il aurait été sans doute envisageable de voter une disposition en lien avec la seule privation de l’indemnisation chômage sans bouleverser un régime juridique établi.
Il existe bien aujourd’hui des démissions considérées par Pôle Emploi comme légitimes et ouvrant ainsi droit à une indemnisation là où une démission « classique » est privative de droits. Pourquoi ne pas avoir simplement créé un motif de licenciement qui ne pourrait être considéré comme ayant involontairement privé le salarié de son emploi et qui conduirait donc à une absence de prise en charge par Pôle Emploi, sans pour autant remettre en cause le licenciement dont le salarié a fait l’objet ?
Précisons toutefois que saisie de plusieurs recours le 18 novembre 2022, la loi « marché du travail en vue du plein emploi » est déférée au Conseil constitutionnel lequel dispose d’un délai d’un mois pour rendre sa décision, sauf à ce que le Gouvernement demande son examen d’urgence, ce qui réduirait le délai à 8 jours. De même, la mise en application du nouvel article L1237-1-1 du code du travail, s’il devait être reconnu comme constitutionnel, suppose la publication de son décret d’application.
En résumé, suite au prochain épisode…
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